Pour combattre les symboles nazis, «le droit pénal doit rester une arme chargée»

La Liberté: antiracisme• Pour le professeur à l’Uni de Fribourg Marcel A. Niggli, le Tribunal fédéral a eu raison de ne pas condamner l’auteur d’un salut nazi. Selon lui, il faut cibler les cas graves.

Le salut nazi devrait être interdit en public en Suisse. C’est l’avis exprimé hier à Bienne par la Fédération suisse des communautés israélites. Son président Herbert Winter a critiqué un récent arrêt du Tribunal fédéral. Celui-ci a acquitté un néonazi ayant tendu le bras lors d’un rassemblement sur la prairie du Grütli. Pour les juges, faire un salut nazi sans intention de propagande n’est pas punissable. Marcel Alexander Niggli, professeur de droit pénal et de philosophie du droit à l’Université de Fribourg, considère qu’il s’agit d’une application correcte de la norme pénale antiraciste. Interview.

La décision du Tribunal fédéral a provoqué de vives réactions en Suisse comme à l’étranger. Sans entrer dans les détails, êtes-vous surpris par ces réactions?

Marcel Alexander Niggli: Je peux comprendre que l’on réagisse avec un certain étonnement à l’étranger, car notre législation n’y est pas bien connue. En revanche, je suis surpris des réactions en Suisse, car le cadre législatif y est le même depuis vingt ans. Après le scandale de 2000, lorsque des néonazis avaient perturbé les célébrations de la fête nationale sur la prairie du Grütli, la commission des affaires juridiques du parlement avait certes demandé l’interdiction de tous les symboles et gestes apparentés au national-socialisme. Mais jugé inutile, le projet avait été abandonné en 2010 au terme de deux procédures de consultation. C’est pourquoi je ne comprends pas ces réactions de surprise. On savait très bien qu’en Suisse, le salut hitlérien n’était pas punissable.

Le Tribunal fédéral établit une différence entre un salut nazi effectué dans un but de propagande et un simple signe de reconnaissance dans un contexte «interne». Une telle distinction est-elle judicieuse juridiquement?

C’est conforme à la loi, qui interdit la propagande, c’est-à-dire la diffusion d’une idéologie, mais pas la manifestation d’une conviction. On ne peut en effet pas laisser une société condamner des individus uniquement sur la base de leurs croyances ou de leurs opinions. Je pense donc que c’est juridiquement correct lorsque le Tribunal fédéral affirme que toutes les manifestations d’une conviction ne sont pas forcément de la propagande, même si elles ont lieu en présence de tiers.

Cette distinction conduit toutefois à une difficulté pratique, car ce sont en dernier lieu les autorités de poursuite (en particulier les policiers ou les douaniers) qui doivent décider s’il s’agit de la simple manifestation d’une conviction ou au contraire d’une propagande pénalement répréhensible. Cela leur confère une trop grande responsabilité. Dans le cas des néonazis du Grütli, le Tribunal fédéral a décidé qu’il s’agissait de la manifestation d’une conviction. La critique des adversaires de la norme pénale antiraciste, qui consiste à dire que celle-ci va à l’encontre de la liberté d’expression, n’a donc aucun fondement.

Et cette distinction a-t-elle un sens du point de vue de la société?

C’est une question très difficile, car le salut hitlérien et la croix gammée font manifestement référence au national-socialisme. Ils sont donc compris de tous. On pourrait donc se dire qu’il faudrait faire explicitement mention de la croix gammée et du salut hitlérien dans la norme pénale antiraciste. Mais après les discussions politiques qui ont eu lieu par le passé, je ne suis pas certain que cela serait judicieux. Par ailleurs, l’extension de cette norme reste un sujet délicat.

Et cela se traduirait par une avalanche de procès…

Exact. Le droit pénal doit rester une arme chargée qui ne doit pas être utilisée tous les jours, sous peine de perdre de son efficacité. Lorsque l’on évoque la norme antiraciste pour les gags stupides de comiques, comme c’est arrivé récemment, cela me semble hautement malencontreux. Elle est absolument importante et judicieuse, mais uniquement lorsqu’elle traite de cas véritablement graves et inacceptables.

N’est-ce pas le cas avec les symboles nazis?

Le national-socialisme considère que certains groupes de personnes sont inférieurs et qu’ils peuvent donc être discriminés ou même exterminés. Celui qui soutient le nazisme ne fait donc pas que bafouer et insulter les victimes en violant leur dignité humaine. Il s’oppose aussi directement aux principes fondateurs de notre société, comme l’égalité. C’est pour cela que la croix gammée et le salut nazi provoquent une telle agitation. Ce sont des symboles mis au ban de la société, et c’est très bien ainsi.

Une norme pénale devrait refléter ces valeurs de la société, mais en même temps être suffisamment précise pour être comprise par tout le monde et applicable par les forces de l’ordre. Il ne suffit pas de s’attaquer à la croix gammée ou au salut hitlérien. Quid de leurs substituts, comme le nombre «88» (pour «Heil Hitler», H étant la 8e lettre de l’alphabet, ndlr)? Ce sont aussi des symboles nazis, mais qui ne sont compris que par des initiés ou des personnes bien informées. Ce constat est encore plus vrai pour les symboles et les gestes d’autres idéologies racistes. I

Keystone