L’ASIN rêve de redevenir le bras armé d’une UDC plus modérée

Tribune de Genève: Vieillissante, l’ASIN pourrait trouver une seconde jeunesse dans le contexte politique actuel

Berne

C’est le grand raout pour l’ASIN! L’Action pour une suisse indépendante et neutre réunit demain plus de 700 personnes à Interlaken (BE) pour son assemblée annuelle. Le lieu a dû être changé au dernier moment, la présence de Frauke Petry, cheffe de file d’un parti populiste allemand, ayant fait l’objet de menaces (lire ci-dessous). L’ASIN a gardé son goût de la provocation, mais peine à se renouveler. Ça devrait changer.

Fondée il y a 30 ans par Christoph Blocher, à la suite du refus d’adhérer à l’ONU, l’ASIN a été de tous les combats contre l’Europe. Depuis quelques années, c’est pourtant une image de perdante qu’elle véhicule. En 2012, son initiative «Accords internationaux: la parole au peuple!» a été balayée à 75%. Un score si mauvais que l’existence même du mouvement était remise en cause.

Nouvel espace

Avec le positionnement très à droite de l’UDC, l’ASIN manquait d’espace pour exister. Mais le parti qui compte désormais deux conseillers fédéraux promet de moins utiliser les droits populaires, libérant la place pour une structure plus combative. «Si le parti se met vraiment en retrait, alors nous aurons les coudées plus franches», admet Oskar Freysinger (UDC/VS), membre du comité de l’ASIN.

La stratégie

L’UDC pourrait laisser à l’ASIN le soin de lancer des référendums ou des initiatives populaires, qu’elle pourrait soutenir dans un deuxième temps. L’accord sur la Croatie va dans ce sens. L’UDC va s’y opposer au parlement, mais elle laisse à l’ASIN le choix de le combattre par les urnes. Autre dossier, le contrôle des frontières: la mesure est réclamée par l’UDC, mais c’est l’ASIN qui prépare une initiative populaire pour le concrétiser. «Lorsque le parti est passif, nous pouvons forcer les décisions», reconnaît Luzi Stamm (UDC/AG), vice-président de l’organisation.

Face à ce scénario, les politologues émettent toutefois plusieurs réserves. «C’est vrai, l’ASIN pourrait retrouver de sa superbe si l’UDC devait se modérer; mais je ne crois pas trop à ce changement de cap», explique Pascal Sciarini. Mais surtout: «Si stratégiquement cela peut permettre à l’UDC de continuer à jouer au double jeu opposition-gouvernement, ça pourrait vite devenir problématique dans le message.» Son confrère Georg Lutz acquiesce. «On peut imaginer une division des tâches, mais au final ce sont les mêmes personnes. L’ASIN reste dominée par l’UDC.»

Autre atout possible pour l’ASIN, le contexte international. «L’accord-cadre que le Conseil fédéral veut négocier avec l’UE nous pousse vers une adhésion, explique Oscar Freysinger. C’est un combat pour les souverainistes!» Mais l’ASIN n’est plus seule sur ce thème. Il y a désormais «UE-Non» – la nouvelle machine de guerre de Christoph Blocher contre «l’adhésion insidieuse à l’UE». «Je le vois davantage comme une collaboration, estime le Valaisan, une possibilité d’élargir le front des opposants.» Pascal Sciarini partage cet avis. «Les deux organisations ne devraient pas se concurrencer. L’une se concentre sur l’Union européenne, alors que l’autre a une vision plus large.»

Luzi Stamm va plus loin. «U-Enon» est une organisation qui veut attirer des entreprises, et des personnalités de la société civile. «C’est une organisation de droite, alors que l’ASIN peut séduire tous les eurosceptiques.» L’Argovien raconte d’ailleurs que des socialistes ont déjà rejoint l’organisation. Faire de l’ASIN une large alliance d’eurosceptiques, Oscar Freysinger en doute. «En théorie, ça marche, mais pas dans la pratique.» «J’ai du mal à voir des gens de gauche combattre dans la même organisation que l’UDC», admet Georg Lutz. Les eurosceptiques de gauche ne disent pas autre choses. Pour cet élu socialiste qui préfère garder l’anonymat, «tant que l’ASIN reste une succursale de l’UDC, c’est peu probable».

«L’ASIN pourrait retrouver de sa superbe si l’UDC devait se modérer. Mais je ne crois pas à ce changement»

Pascal Sciarini Politologue

«Lorsque le parti est passif sur certains dossiers, nous pouvons forcer les décisions»

Luzi Stamm (UDC/AG) Vice-président de l’ASIN

Menaces sur l’assemblée

A quelques semaines du vote sur le Brexit, le 23 juin, le premier choix de l’Action pour une suisse indépendante et neutre était d’accueillir l’une des figures eurosceptiques du Royaume-Uni. La proximité du scrutin ayant rendu cette option caduque, le comité s’est tourné vers l’Allemagne. Les mouvements populistes ont émergé partout en Europe, et c’est finalement Frauke Petry, cheffe du parti Alternative für Deutschland (AfD), qui sera la grande invitée de l’assemblée. Sa formation politique a le vent en poupe. Surfant sur les craintes liées à la crise migratoire en Europe, l’AfD a fait une percée remarquée lors des dernières élections régionales du mois de mars. Un choix sulfureux pour l’ASIN. Le parti est régulièrement qualifié d’extrême droite, voire de néonazi; et la venue de sa cheffe de file en Suisse fait bondir certains milieux de gauche. A tel point que le lieu de l’assemblée a dû être déplacé. Face à certaines menaces, les membres du mouvement souverainistes ne se réuniront pas à Berne, mais à Interlaken. Le directeur de l’ASIN, Werner Gartenmann, s’est justifié dans la Jungfrau Zeitung. Pour lui, la capitale «n’était plus une option» après qu’un appel à marcher sur Berne eut été lancé afin d’empêcher la tenue de l’assemblée.