Agresseurs et agressé se connaissaient

Le Dimanche

La victime était un «crâne rasé»

Michaël est mort à 18 ans, lynché sur un quai de gare par ses racketteurs. Notre enquête révèle que cette tragédie s’inscrit dans un contexte de haine raciale, B.Boys d’origine africaine contre hardcore made in Switzerland. Meurtre sur fond de pitbulls, de breakdance et de heavy metal.

 

Françoise Boulianne

Un crime odieux, pour un racket courageusement dénoncé? Une victime et des agresseurs réunis par hasard, dans le même train? La réalité est plus complexe, comme toujours. En réalité, les protagonistes du drame du dimanche 1er juin avaient toutes les raisons de se connaître. Et de se haïr. 

Près de la gare de Payerne, des jeunes tournent en rond. Ils ont lu ce qu’ont dit les journaux du drame d’Yverdon, ils peinent à comprendre. «On le voit en photo comme un ange, avec ses cheveux frisés. Mais Michael, il avait le crâne rasé! Il fréquentait le Coyote Saloon avec sa copine. Là-bas, les hardcore, ils cassent des verres, ils font le signe de Hitler, ils bastonnent.»

Difficile à croire, tant l’image de la victime de cet odieux lynchage, à coups de poings, de pierres, de couteaux semble désormais figée. Michaël, l’apprenti peintre en bâtiments chaux-de-fonnier, sportif, musicien. Le courageux qui a osé dénoncer au chef de train les racketteurs qui l’avaient dépouillé de son lecteur CD. Le fils, le frère, l’ami aimant d’une jeune fille de Payerne toute ronde, mort après cinq jours de coma.

Au Coyote Saloon, la serveuse toute mignonne confirme que Michaël était un client, crâne rasé, mouvement hardcore. «Il avait rencontré son amie, qui est aussi la mienne, dans un bal hardcore. Qui sont les hardcore? Ben, ils s’habillent avec des vestes noires, des casquettes, ils écoutent de la musique avec des basses, ils se rasent le crâne. Et puis, surtout, ils n’aiment pas les étrangers. Il y a souvent de la bagarre ici. Les B.Boys viennent aussi, les deux bandes se détestent. On essaie de les séparer. Mais Michaël n’était pas du genre à chercher la bagarre.» Sur le tabouret du bar, sa copine pouffe. La serveuse rectifie. «Disons que s’il s’est bagarré, j’étais en congé.»

Pitbulls et provoc

Seconde surprise: l’identité des agresseurs majeurs. Un Franco-Algérien de 23 ans et un Portugais de 20 ans, selon les communiqués. En fait, M. et L. habitaient deux studios côte à côte, dans un pimpant immeuble près des rails. Ils étaient inséparables. Leurs voisins trouvent que c’est devenu calme, depuis leur arrestation. «Ils recevaient beaucoup et mettaient la musique très fort, confie l’un d’eux. Ils avaient deux pitbulls qui faisaient leurs besoins sur le balcon et dans les corridors. Le préfet leur a ordonné de s’en séparer. Ils l’ont nargué. C’est la SPA qui a dû venir chercher les chiens. Pour se venger, ils ont vomi dans les boîtes aux lettres.»

Immeuble pimpant, lui aussi, que celui des parents de l’assassin présumé, signalé comme «le Portugais». Aucun de nos témoins ne l’a indiqué jusqu’ici: il est en fait Africain, des îles du Cap-Vert. Sa mère rentre du travail, un boulot de nuit dans une conserverie. Epuisée. Le père est maçon. Elle est venue le rejoindre en Suisse en 1993, avec ses trois fils, dont le cadet L., qui a mal tourné. Un bébé dans les bras, nouveau-né de son aîné, elle balbutie. Oui, L. a fait de la prison l’an dernier, elle ne saurait dire pourquoi. A l’école, cela n’allait pas avec ses profs, ils l’ont mis en classe de développement. Au mur, des cartes racontent le pays qu’ils ont quitté. L’appartement est impeccable. Le second fils, très beau gosse, enrage de nous voir là. La belle-fille sourit tristement: «Nous sommes une famille, on restera soudés.»

L’enquête du juge

Antoine Landry, juge d’instruction du Nord-Vaudois, s’étonne quand on lui parle des valeurs hardcore de Michaël. «J’avais remarqué qu’il avait le crâne rasé, cela pouvait être à cause des investigations médicales. Mais la victime vue comme une blanche colombe, cela a plus été le travail de la presse que celui des enquêteurs jusqu’ici. Je n’ai pas eu vent de provocation de la part de Michaël dans le train, je ne l’exclus cependant pas à ce stade. Toutes les hypothèses restent ouvertes.» En ce qui concerne les agresseurs majeurs – l’un des mineurs est le petit cousin de l’assassin présumé -, il confirme leur itinéraire troublé. «M. est venu en novembre 2002 en Suisse, pour travailler. Mais il m’a dit qu’il trouvait les conditions de travail trop pénibles. Quant à L., en décembre 2002, il a été condamné à quinze mois d’emprisonnement avec sursis pour vols, lésions corporelles, menaces. Il avait déjà fait quelque trois cents jours de préventive.»

Dans un village voisin, le boulanger, homme cordial et tolérant, a été le patron des deux délinquants, successivement. «Après quelques mois, L. n’a plus eu envie de travailler. C’était un très beau gosse, pas violent, mais plein de problèmes. J’ai vu son père plusieurs fois, il se faisait beaucoup de souci. Quant à M., c’est moi qui l’ai fait venir en Suisse. Mal de dents, mal de dos: pour un oui ou un non il ne venait pas au boulot. Puis il a quitté. Les services sociaux l’ont entretenu, et c’est lamentable: ils auraient dû le renvoyer.»

A Pramont, la maison d’éducation au travail valaisanne, un des 35 jeunes détenus a fait partie de la même bande que L. et M. «Il n’est pas content d’être là, raconte Johnny Petoud, éducateur. Mais il m’a dit: heureusement que le juge m’a placé ici avant que ça aille plus loin!».