Violente rixe entre skinheads et punks jugée à Genève

Le Temps: JUSTICE La bagarre avait eu lieu lors de la Fête de la musique. Le tribunal n’a pas acquis la conviction que les extrémistes de droite sont allés provoquer leurs adversaires

Lucas, 31 ans, l’activisme d’extrême droite revendiqué, les sympathies néonazies affichées sans complexes, le crâne rasé et les tatouages nombreux, l’admet sans détour devant le Tribunal de police de Genève: «Entre punks et skinheads, on ne s’aime pas. C’est souvent électrique.»

Jugé mercredi pour avoir participé à la bagarre qui avait éclaté au parc des Bastions le 23 juin 2012 lors de la Fête de la musique, ce Français, leader local des admirateurs d’Adolf Hitler, assure n’avoir provoqué personne cette nuit-là. Assis à ses côtés, son copain David jure ne pas être l’auteur du coup de couteau qui a envoyé un adversaire très gauchiste aux urgences. Pour compléter ce tableau original, la victime, la crête toujours bien présente, se retrouve aussi sur le banc des prévenus pour y répondre de rixe.

Un parcours chargé

La tension est retombée à la faveur de ce procès assez feutré mais les profils n’en sont pas moins inquiétants. Lucas a déjà été condamné trois fois pour brigandage, agression et lésions corporelles simples. Une quatrième affaire, jugée en son absence au printemps dernier à Vesoul (Haute-Saône), n’a été évoquée que furtivement aux débats. Celle-ci lui aurait pourtant valu, selon le journal L’Est Républicain, une peine ferme de 2 ans pour avoir, en tant que cofondateur d’une section du tristement célèbre groupuscule Combat 18, milité pour une Europe blanche, participé à des déprédations et incité à la haine raciale.

«Combat 18, vous connaissez?» A cette question de Me Nicolas Meier, l’avocat du punk au ventre déchiqueté, Lucas répond: «Bien sûr, mais cela n’a rien à voir avec cette affaire.» A l’entendre, ce résident de Genève, qui touche l’aide sociale et tente de se réinsérer dans le nettoyage, se promenait pacifiquement avec des amis pour profiter de la fête. C’est totalement par hasard, croyant que les punks seraient du côté de l’Usine, que la petite équipe est tombée sur le concert du groupe Faute de Frappe. Lucas, qui conteste toute participation à la rixe, explique avoir été agressé par une meute en raison de sa mouvance. «Je n’ai pas donné le moindre coup, j’ai réussi à m’extirper et à me réfugier dans un stand de nourriture où j’ai sorti mon couteau pour faire peur aux assaillants. La police est finalement arrivée et m’a escorté pour sortir du parc.»

Son pote de mouvance, David, un Genevois de 34 ans, prévenu de rixe mais aussi de lésions corporelles simples et de tentatives de lésions corporelles graves, raconte avoir été frappé avec un tesson et une chaîne triplex et s’être fait beaucoup de souci pour son chien traumatisé par les événements. Un apprentissage de plombier délaissé, des drapeaux nazis plein son balcon «pour décorer», dira sa maman, ce chômeur, défendu par Me Magali Buser, assure qu’il ne portait pas de lame sur lui, qu’il n’a pas perforé l’abdomen du punk et qu’il n’a jamais mimé son geste ou montré son arme ensanglantée, comme ont pu le raconter des témoins. Condamné lui aussi dans une autre affaire de couteau, il dit avoir appris la leçon, changé, laissé tomber les armes et l’extrémisme.

A côté, Robin, 35 ans, lui aussi natif du canton, fait banale figure. Il a monté sa petite entreprise, une boîte de construction métallique. Une cicatrice de 40 centimètres et un ventre boursouflé lui rappellent quotidiennement cette soirée où on lui a dit que des «néonazis étaient venus foutre le bordel». Il reconnaît avoir frappé après avoir été happé dans la bagarre, n’a pas vu qui l’a blessé, a cru mourir et se dit dégoûté par la manière avec laquelle l’enquête a été bâclée.

«Délit de sale gueule»

Lors d’un réquisitoire long de douze minutes, la procureure Rita Sethi-Karam a demandé des peines de 120 joursamendes avec sursis contre le prévenu-victime, 18 mois avec sursis contre David qui l’a blessé et 6 mois de prison ferme contre Lucas dont la simple présence, «en tant que leader notoire du petit monde des skinheads» a jeté de l’huile sur le feu et provoqué la bagarre. «On n’est pas là pour juger ses convictions ou ses tatouages», a rétorqué Me Mike Hornung en déplorant «le délit de sale gueule».

Touché. Le tribunal, présidé par Yves Magnin, n’a pas acquis la conviction que le skinhead a activement voulu ou participé à cette rixe motivée par «la stupidité». Pour avoir détenu des armes tranchantes et gazantes, Lucas s’en tire avec une peine de 80 jours-amendes avec sursis. Pour les deux autres, le jugement fait siennes les conclusions du parquet.