Un chanteur un peu trop patriote

La Liberté: Fribourg • La vedette croate Marko Perkovic, alias «Thompson», doit donner un concert àla Salle des fêtes de Saint-Léonard le 5décembre. Certains l’accusent d’apologie du fascisme.

Il est l’un des chanteurs les plus populaires de son pays, la Croatie, où chacun de ses concerts draine des dizaines de milliers de personnes, dont des dignitaires politiques et des sportifs connus. Mais Marko Perkovic, alias «Thompson», qui se produira le 5décembre à Fribourg, peine à imposer son répertoire pop-rock mâtiné de folklore hors de ses frontières. Il faut dire que sa réputation d’ultranationaliste placé à l’extrême droite de l’échiquier politique, voire d’apologiste du régime fasciste oustachi (lire ci-contre), colle à la peau de cet homme de 49 ans, ancien combattant de la guerre d’indépendance croate dans les années 90.

A chaque fois que Thompson quitte ses pénates dalmates, il doit faire face à un tir de barrage nourri émanant de milieux antiracistes, de formations politiques de gauche mais aussi de membres de la diaspora serbe, dont les ancêtres ont souffert sous le joug oustachi puis affronté l’armée croate après l’effondrement de l’ex-Yougoslavie.

Interdit en 2009

En septembre 2009, l’Office fédéral de la police (fedpol) avait mis son veto à sa venue en Suisse après que de vives polémiques aient éclaté autour d’un concert à guichets fermés que le sulfureux chanteur aurait dû donner devant la diaspora croate à Kriens (LU).

A Fribourg aussi, la résistance s’organise contre la venue de Thompson, dont le nom de scène est aussi celui d’un modèle de pistolet-mitrailleur utilisé durant la Seconde Guerre mondiale. «J’espère réellement que les autorités vont faire quelque chose afin que ce type de personnage ne puisse venir ici pour déverser sa haine», s’emporte un Suisse d’origine serbe, qui s’est adressé à diverses instances officielles. Outre les ambassades de Serbie et d’Israël, il a aussi contacté la Coordination intercommunautaire contre l’antisémitisme et la diffamation (CICAD).

La tenue du concert, programmé à la Salle des fêtes de Saint-Léonard, doit encore obtenir le feu vert de la Préfecture de la Sarine. Une séance de coordination, à laquelle ont participé les organisateurs de la manifestation ainsi que la police cantonale, a eu lieu la semaine dernière. «Rien n’a encore été décidé pour l’instant, il reste des vérifications à faire», explique Pierre-André Waeber, porte-parole de la police.

Marko Perkovic est-il réellement un chanteur fasciste? Lui-même a contesté à plusieurs reprises, dans divers médias, toute sympathie pour le régime oustachi. Ce père de quatre enfants, autrefois marié à Danijela Martinovic, une autre vedette du show-biz croate, se décrit comme un patriote, fervent catholique – il a été reçu par le pape Benoît XVI en 2009 – et défenseur des valeurs familiales. Les paroles de ses chansons abordent, dans une veine souvent poétique et métaphorique, des thèmes comme l’amour, Dieu et la patrie.

En treillis militaire

Reste qu’on peut aussi le voir en treillis, armé de son fusil-mitrailleur fétiche, dans un clip daté de 1992 à la gloire du «Bataillon Cavoglave» ayant combattu les Serbes durant la guerre d’indépendance croate. On lui reproche aussi d’avoir entonné sur scène, par le passé, un hymne célébrant le camp d’extermination de Jasenovac, où périrent des dizaines de milliers de Serbes, de Juifs et de Roms entre 1941 et 1945. Durant ses concerts, une frange de son jeune public parade ouvertement avec des insignes oustachis. Ce qui a valu à Thompson, en 2007, une lettre ouverte assassine de la part d’Efraim Zuroff, directeur du Centre Simon-Wiesenthal à Jérusalem.

Contacté par «La Liberté», un des organisateurs du concert du 5décembre tient à relativiser ces accusations. «Pendant la guerre, tous les musiciens ont composé des chansons nationalistes», explique ce Croate installé de longue date en Suisse. Il se trouve simplement que Marko Perkovic est devenu plus célèbre que les autres.

Un public familial

A la Salle des fêtes de Saint-Léonard, on attend un public essentiellement familial. «J’ai déjà reçu de nombreuses réservations de Genève, Montreux, Berne et Zurich», explique l’organisateur, locataire régulier de la salle fribourgeoise, où il espère accueillir entre 1000 et 1500 personnes. «En général, nous faisons plutôt des soirées folkloriques. Cette fois, nous voulions parler aussi aux plus jeunes. Et pour les faire venir à Fribourg, il nous fallait inviter le chanteur le plus connu.»

Il rappelle que d’autres concerts de Thompson, notamment en Allemagne et en Autriche, se sont déroulés sans incident. L’an dernier à Essen, le raout néonazi prédit par certains s’est ainsi avéré être, dans les faits, un aimable divertissement familial surplombé de quelques drapeaux croates, à en croire la presse locale. «La chanteuse Ceca (Svetlana Raznatovic, veuve du chef paramilitaire serbe Zeljko Raznatovic, dit «Arkan», ndlr) vient tous les trois mois en Suisse. Je n’en fais pas toute une histoire», conclut l’organisateur croate dans un sourire. I

Un Régime sanguinaire allié des nazis

La photo a été publiée de nombreuses fois sur internet: une jeune fille en mini-short noir, coiffée d’une casquette arborant l’emblème en «U» des Oustachis, sourit en faisant un salut nazi. Le cliché aurait été pris il y a quelques années en marge d’un concert de Marko Perkovic en Croatie. L’an dernier, le footballeur Josip Simunic a été privé de Coupe du monde pour avoir, «par amour pour sa patrie», scandé un cri de ralliement oustachi à l’intention des supporters croates ayant assisté à un match opposant sa sélection nationale à celle de l’Islande.

Allié de l’Allemagne nazie durant la Seconde Guerre mondiale, le régime oustachi, dirigé par l’avocat Ante Pavelic, est responsable de la mort de centaines de milliers de personnes en Croatie et en Bosnie-Herzégovine. Certaines sources évoquent près d’un million de victimes, dont une majorité de Serbes. Des dizaines de milliers de Juifs et de Tziganes ont également été massacrés. Cette épuration ethnique, organisée notamment dans les camps de concentration de Jasenovac et de Stara Gradiska, a été soutenue par une partie du clergé catholique. MRZ