La police déploie le plan «Cobra» face aux nationalistes

Le Matin Dimanche: Intervention Hier après-midi, les forces de l’ordre valaisannes sont intervenues en force pour empêcher une conférence d’extrême droite.

lucien.christen@lematindimanche.ch

Seuls les uniformes et les lampes de poche de la police valaisanne éclairaient vaguement le parking du magasin Hornbach, à Riddes (VS), samedi en début de soirée. Le plan «Cobra» avait été déclenché aux alentours de midi. Des alertes envoyées sur les téléphones d’un maximum d’agents ont mobilisé pas moins de 80 policiers cantonaux. But de l’opération, empêcher la tenue d’une réunion d’extrémistes de droite, initialement prévue dans la région lausannoise.

«Suite à l’interdiction de cette conférence-concert prononcée par le Conseil d’Etat vaudois et connaissant les méthodes de ces groupuscules qui jouent l’effet de surprise en changeant de lieu de rencontre à la dernière minute, nous avons été en mesure de les voir venir», déclare Jean-Marie Bornet, porte-parole de la police valaisanne, présent sur les lieux de l’opération.

Identités relevées

Comme il est de coutume lors de ce genre d’événements, les organisateurs avaient fixé un premier lieu de rendez-vous sur le parking de cette zone industrielle. «Le plan était ensuite de se rendre à la cantine de l’ancien terrain de foot de Saxon (VS), à quelques kilomètres de là, continue le porte-parole. Nous sommes intervenus car aucune autorisation n’avait été demandée au préalable, faisant de cette rencontre une manifestation illégale sur la commune et sur l’ensemble du territoire cantonal.»

Plus loin, entre 40 et 50 silhouettes vêtues de noir finissent de décliner leurs identités à la police. «Toutes les personnes présentes ont été contrôlées, puis nous leur avons demandé de se disperser. Le tout s’est déroulé dans le calme». Selon Jean-Marie Bornay, aucune banderole ou signe particuliers n’avait été affichés. Un procureur était toutefois présent sur les lieux pour constater d’éventuelles infractions, notamment une violation potentielle de l’article 261 bis du Code pénal (norme antiraciste). Une fois les contrôles terminés, les voitures, immatriculées majoritairement dans les cantons du Valais et de Fribourg, ont quitté les lieux. Derrière les vitres, les visages étaient plutôt jeunes et majoritairement masculins. Les organisateurs ont été entendus au poste de police.

Crainte d’affrontements

Si la mobilisation a été aussi importante, c’est que le contexte est plutôt tendu ces dernières semaines. Mi-octobre, un concert néonazi avait attiré 5000 sympathisants à Unterwasser (SG), au nez et à la barbe des autorités, pourtant prévenues par le Service de renseignement de la Confédération (SRC). «Il fallait avoir du répondant et empêcher tout débordement. C’est une démonstration de force. Ces gens n’avaient rien à faire là», précise simplement Jean-Marie Bornet.

Dans le canton de Vaud, le raisonnement avait été similaire. Les craintes d’une contre-manifestation de l’extrême gauche – qui découle souvent sur des affrontements entre les deux camps et les forces de l’ordre – avaient finalement débouché sur l’interdiction de l’événement. Ce dernier, baptisé «conférence sur le nationalisme», devait rassembler plusieurs figures de l’extrême droite européenne. Les conférenciers: Philippe Georges Brennenstuhl, président du parti nationaliste suisse (PNS), Daniel Conversano, youtubeur français prônant la supériorité de la race blanche, Sébastien de Boëldieu, membre de l’organisation néofasciste italienne CasaPound et le groupe de musique néonazi français Frakass.

Contacté par téléphone samedi, Philippe Georges Brennenstuhl nous a confié avoir annulé sa participation au dernier moment. Le politicien de Sainte-Croix, qui sera candidat au Conseil d’Etat vaudois en 2017 et qui prône un taux d’immigration et de naturalisation de 0% a invoqué différents motifs. «Nous avions le droit de nous réunir. Les extrémistes de gauche nous ont menacés, mais c’est nous qui sommes punis, avant même que nous n’ayons fait quoi que ce soit. J’ai décidé de ne pas participer à la conférence car je ne veux pas partir la queue entre les jambes, je ne sais où au milieu de la forêt. Je ne veux pas non plus mettre mon parti en péril en participant à un truc interdit, qui risquerait de nous coûter un procès!»

Pour l’heure, nous ne savons pas si une procédure pénale a été ouverte, ni si les autres conférenciers étaient présents à Riddes. L’intervention a pris fin à 18h environ. De nombreuses voitures de police étaient encore visibles le long des autoroutes du canton, pour éviter, encore, un autre rebondissement.

«Toutes les personnes présentes ont été contrôlées, puis nous leur avons demandé de se disperser»

Jean-Marie Bornet, porte-parole de la police valaisanne.

Ces groupes savent jusqu’où aller trop loin

Comment expliquer que ce type d’événements, qui frôlent le code en permanence, ne soient pas déjoués systématiquement par les forces de l’ordre? Ce qui pose réellement problème, pénalement, c’est de pouvoir prouver une violation de l’article 261 bis du Code pénal (norme antiraciste). Pour Martine Brunschwig Graf, présidente de la Commission fédérale contre le racisme (CFR), «on entre dans une époque plus cynique. Des tabous sont tombés. Mais les gens savent jusqu’où ils peuvent aller sans tomber dans le pénal en violant la norme antiraciste. Et la surveillance? «Ces groupes n’ont jamais disparu de nos radars, mais depuis deux ans, l’attention des services de renseignements est plutôt concentrée sur la menace djihadiste. Par ailleurs, le concert de Saint-Gall était d’une ampleur sans précédent depuis une vingtaine d’années. Cela a réveillé l’intérêt des médias», explique André Duvillard, délégué du réseau national de sécurité (RNS). L’année dernière, 28 incidents dans le domaine de l’extrémisme violent de droite ont été rapportés au SRC. Une augmentation de 47% par rapport à 2014, jugée non significative par le renseignement.