Du rock, mais du rock qui pue

Le Journal du Jura: Culture · La Suisse, accueillante oasis pour rassemblements néonazis

Il était une fois, dans le pittoresque Toggenburg, un petit patelin du nom d’Unterwasser, patrie du champion olympique de saut à ski Simon Ammann. Faisant partie de la commune saint-galloise d’Alt Sankt Johann, on y vivait bien tranquillement à l’abri des tourments de ce bas monde… Tout pourrait continuer ainsi dans l’idyllique pays de Simon. Sauf que samedi dernier, quelque 5000 crânes rasés ont déboulé sans crier gare dans cette bourgade pour une délicate soirée privée. Très privée même.

L’organisateur avait loué une vaste salle pour une soirée-concert «Rockoktoberfest», censée attirer entre 600 et 800 pèlerins pour venir y écouter quelques groupes suisses peu connus. Pas vraiment de quoi attirer l’attention, à l’heure où l’Oktoberfest déroule ses fastes dans les guinguettes munichoises et essaime un peu partout. Et pour se la jouer discret, l’organisateur n’avait guère fait de pub. Même si, dans les milieux nazillons de Blood and Honours, on avait appelé à un rassemblement, samedi à 16h, dans la région d’Ulm, au sud de l’Allemagne, à une centaine de kilomètres de la frontière suisse.

Du lourd…

Sauf qu’en l’occurrence, les groupes rock attendus étaient loin d’être des inconnus, mais bien plutôt des poids lourds de la scène d’extrême-droite. Des groupes essentiellement teutons dont les noms ne laissent planer aucun doute sur leur univers rock – mais un rock qui pue: à commencer par Stahlgewitter, qui chante la gloire de la Waffen SS, Frontalkraft ou encore Confidence of Victory.

Mais le rusé organisateur n’avait pas totalement menti puisque tous ces bas du front, nostalgiques du 3e Reich, ont aussi pu déguster les tendres mélopées d’un groupe suisse – oui, oui, il y en avait quand même un. Amok, ça vous dit quelque chose? A part que ça signifie folie meurtrière, Amok n’a rien, mais absolument rien à envier aux autres formations, question références.

… du très lourd

Ses textes étaient si violents et abjects qu’en 2010, les membres du groupe ont été condamnés pour incitation au crime et négationnisme de l’Holocauste à… de modestes peines pécuniaires. Et depuis, ces tout joyeux drilles ont eu d’autres condamnations à leur actif. Mais visiblement, tout ça importe peu: «Que voulez-vous, on est si bien chez nous, en Suisse, et après tout, ce sont nos jeunes, peut-être un peu ‹tête brûlée›, qui ne pensent pas vraiment ce qu’ils disent… On ne va quand même pas en faire tout un tsunami…»

Mais cette histoire, justement, a fait de sacrées vagues, car avec ces 5000 crânes rasés rassemblés pour cette soirée prétendument privée, le petit bled du Toggenburg est devenu, l’espace d’un soir, le plus grand rassemblement de néonazis recensé dans toute l’Europe de l’Ouest ces dernières années. Unterwasser était sous l’eau! Et tout ça dans le pays qui se targue d’être le berceau d’une exemplaire démocratie, ad aeternam. Pas de quoi plastronner.

Les flics, dans tout ça? Une patrouille est bien venue sur place, mais que pouvait-elle bien faire face à cette horde de fans du bras tendu? Elle est bien sagement restée à l’extérieur, se contentant d’assurer le service minimum, veillant à ce que ces joviaux mélomanes se tiennent bien sages, qu’ils ne cassent rien, qu’ils éteignent la musique à 2h du mat’ comme prévu. Ce qu’ils ont fait.

Des chants nazis? «Non, rien entendu. D’ailleurs, la musique était si forte qu’on ne comprenait pas les paroles… Finalement, voyez bien que ce ne sont pas des sauvages: y z’ont parqué leurs véhicules bien comme il faut, z’ont nettoyé les lieux propres en ordre, z’ont respecté füürob, vous voulez quoi de plus? Des géraniums?»

Bon, on ne tire pas sur une ambulance – on ne va donc pas jeter la pierre à ces quelques malheureux poulets. Mais plutôt au Service de renseignement de la Confédération (SRC), qui ne brille pas vraiment par sa perspicacité. Le SRC avait certes annoncé à la police saint-galloise la tenue possible d’un rassemblement d’extrême-droite, quelque part au sud de l’Allemagne, mais sans être capable d’en dire davantage.

Et c’est ça, notre service de renseignement? A moi la peur bl… brune! Y foutent quoi, c’te équipe au CH-Pentagone? Sont vraiment aussi nullos? Z’ont pas de tuyaux de leurs collègues allemands? Cinq mille tarés qui préparent leur raout-rock avant de débouler dans un petit patelin saint-gallois en rase campagne, ça ne se repère pas avant qu’ils arrivent? Avec leur gueule de gauleiter et leur fiérote dégaine de videurs, ils ne passent pourtant pas inaperçus. Ou alors, faudrait-il qu’ils aient la tronche d’une affreuse gargouille pour être repérés?