«Amazonian Cosmos», une porte ouverte sur un autre monde

Le Matin Dimanche

Avec ce documentaire proposé dans le cadre du festival Filmar en América Latina, Daniel Schweizer nous plonge au cœur de la pensée chamanique.

JEAN-PHILIPPE BERNARD jean-philippe.bernard@lematindimanche.ch

Un de ces jours prochains, le ciel va nous tomber sur la tête! La prophétie n’est pas nouvelle. Elle faisait, croit-on savoir, frémir les Gaulois. Depuis, grâce aux exploits d’Astérix et Obélix, on a beaucoup ri avec tout ça. À tort. Il y a fort longtemps de cela, la catastrophe a bien failli se produire. Notre monde a manqué de disparaître dans les entrailles de la Terre, aspiré par le souffle d’incendies dantesques.

Les chamanes d’Amazonie sont les gardiens de cette histoire. Aujourd’hui inquiets de recevoir les signaux d’alerte dramatiques que leur envoie dame Nature, ces sages Indiens redoutent que l’inévitable arrive. Las de devoir porter le ciel sur leurs épaules, effarés aussi par la politique destructrice du président brésilien Jair Bolsonaro, ils ont donc décidé d’envoyer Jaider, un Indien Macuxi, vers la «civilisation». Sa mission: ouvrir les yeux de ceux qui refusent de voir grâce à la pensée chamanique. Trouver ensuite des alliés pour sauver leurs terres, et notre monde dans la foulée…

La longue marche du sage Jaider est contée dans «Amazonian Cosmos» de Daniel Schweizer. Le nouveau long métrage subtil et puissant du réalisateur genevois constitue l’un des temps forts du 22e festival Filmar en América Latina qui se tient d’ordinaire à Genève mais se déroulera en ligne du 20 au 29 novembre cette année.

Superbement construit, porté par un profond souffle d’empathie, «Amazonian Cosmos» propose une immersion dans un «autre monde», territoire infini dans lequel l’homme de bonne volonté trouvera, pour peu qu’il apprivoise patience et sagesse, les remèdes à bien des maux qui l’accablent.

Un réalisateur habité

Ce beau moment de spiritualité doublé d’une proposition de cinéma enthousiasmante vient enrichir la filmographie d’un réalisateur habité, assoiffé d’images. Lorsqu’on le joint au téléphone, Daniel Schweizer nous déclare pourtant: «Je n’ai jamais rêvé de faire du cinéma. C’est lui qui est entré dans ma vie. Au départ, je pensais faire les Beaux-Arts. J’ai suivi les cours de l’École supérieure des beaux-arts de Genève. Non loin de là, Francis Reusser enseignait le cinéma à l’École supérieure d’art visuel. Un jour, me prenant pour un de ses élèves, il m’a mis une caméra entre les mains et m’a demandé d’aller tourner. Ça a été une révélation…»

Le début aussi d’un long apprentissage ponctué au milieu des années 80 par un diplôme à l’École supérieure d’études cinématographiques de Paris. Dès lors, Daniel Schweizer va engranger une expérience précieuse en devenant l’assistant de réalisateurs prestigieux tels Robert Hossein et Andrzej Zulawski. Une étape essentielle avant le grand envol: «Les cinéastes avec lesquels j’ai eu la chance de collaborer étaient des auteurs de fiction. La fiction, pour moi, a fini par devenir un cinéma de mise en boîte et je crois que c’est cela qui a nourri mon envie de me confronter au réel. J’ai tourné mon premier long métrage, «Vivre avec», en 1993. Un film sur le sida qui m’a permis d’entrer de plain-pied dans le réel…»

Cinq ans plus tard, le Genevois se lance dans un projet de grande envergure en se plongeant dans l’univers sulfureux des skinheads. Un pari risqué qui lui permettra de signer trois ouvrages de référence: «Skin or Die» (1998), «Skinhead Attitude» (2003), «White Terror» (2005).

«L’histoire de cette subculture était méconnue. Donc il y avait des choses à raconter. Assister à des concerts, voir 1000 bras levés et entendre la foule crier «Sieg Heil», ça interpelle, ça remue. On sort de là perplexe: que se passe-t-il dans notre monde?»

L’Amazonie, un rêve de toujours

Une expérience remuante qui l’a mené enfin au cœur de cette Amazonie qu’il ne cesse d’explorer depuis. L’homme précise: «Après ces trois films, j’avais besoin de changer de territoire. Je ne souhaitais pas être étiqueté cinéaste spécialisé dans l’extrême droite. Enfant, j’avais lu «Parana le petit Indien», un album de Francis Mazière et Dominique Darbois, illustré par les photographies de cette dernière. Et l’Amazonie me faisait rêver depuis toujours mais je ne la croyais pas accessible. Après avoir lu divers articles évoquant un trafic d’or qui menaçait l’existence même des Indiens de la forêt guyanaise, je suis parvenu à entrer en contact avec Dominique Darbois. Une femme formidable qui m’a ouvert ses archives en m’informant que Parana vivait toujours! Je n’ai dès lors eu qu’une seule envie: partir à sa recherche en compagnie d’un assistant. J’ai retrouvé son village. Il était absent mais après une très longue attente, je l’ai retrouvé. J’évoque ça et aussi le drame vécu par les Indiens dans «Dirty Paradise» en 2009. Un retour vers le paradis sali de mon enfance… J’ai complété cette enquête sur les actes irresponsables commis par les trafiquants d’or et leurs commanditaires avec «Dirty Gold War» en 2015.»

«Amazonian Cosmos» est donc le 3e long métrage que Schweizer consacre aux Indiens. Il sera suivi de «Cosmic Birds», un projet plus expérimental réalisé en réalité virtuelle en cours de finalisation. «Je resterai toujours connecté avec l’Amazonie, avec ses Indiens dont la pensée offre une contribution importante à notre monde. Mais je ne ferai plus de films là-bas. Je vais bientôt ouvrir une autre porte sur la nature. Et regarder là où, habituellement, on ne regarde pas.»

À VOIR

Festival Filmar en América Latina, du 20 au 29 novembre, 22e édition en ligne sur Filmaramlat.ch

Daniel Schweizer pendant le tournage: «Après trois films sur les skinheads, j’avais besoin de changer de territoire.» DR